On le sait, les sites sociaux prennent de plus en plus d’importances dans nos usages quotidien.
La dernière étude de Nielsen (.pdf)sur le sujet, souligne d’ailleurs que les sites sociaux sont devenus le
4e usage des internautes (passant devant l’e-mail, mais demeurant
derrière la recherche ou l’accès aux portails d’information).
Parmi tous les chiffres disponibles sur Facebook, Cameron Marlow, sociologue chez Facebook,
en a récemment publié quelques-unsd’intéressants qui précisent la teneur du graphe social qui nous relie
à nos relations sur Facebook. La question à laquelle a cherché à
répondre le chercheur est de savoir si Facebook permet d’augmenter la
taille de nos réseaux personnels. Selon une étude des années 90, menées
par plusieurs chercheurs, visant à estimer la taille des réseaux
personnels de chacun, celle-ci avait estimé que le nombre de personnes
que nous connaissons dans la vie variait entre 300 et 3000. Sur
Facebook, le nombre moyen d’amis tourne autour de 120, rappelle le
sociologue, pour un réseau qui n’a que 5 ans d’existence et qui, malgré
sa forte croissance, ne recense pas encore toute la population du
globe. Parmi nos relations, il y a toujours un petit groupe de
personnes avec lesquelles nous communiquons de manière continue et
régulière. Dans les années 90, le sociologue
Peter Mardsen,
avec des méthodes d’enquêtes traditionnelles, avait estimé que le
nombre de personnes avec lesquelles un Américain peut discuter de
questions importantes tournait autour de 3. Selon les travaux menés par
Gueorgi Kossinets et
Duncan Watts,
qui ont analysé nos relations par e-mail, le nombre de contacts avec
qui nous entretenons des relations soutenues tournerait plutôt entre 10
et 20 personnes. Mais on voit bien dans ces deux résultats qu’il y a là
un biais selon le support qu’on utilise pour essayer de mesurer nos
amitiés. L’étude
Cameron Marlow n’évite pas cet écueil et ses résultats ne semblent pas généralisables au-delà des effets de la plateforme.
Cameron Marlow et ses collègues ont identifié 4 types de relations différentes :
- notre réseau : c’est-à-dire l’ensemble des personnes qui ont
accepté d’être notre “ami”, ou plutôt d’entrer dans le cercle de nos
relations affichées (voire la critique de danah boyd sur la notion “d’ami”).
- ceux avec qui on a des communications réciproques : c’est-à-dire
les “amis” auxquels on répond et qui nous répondent dans cet ensemble
de relation socio-technique.
- ceux avec qui il n’y a qu’une voie de communication : c’est-à-dire
les “amis” où il n’y a qu’une des deux personnes qui communique, et
jamais l’autre.
- ceux avec qui il y a des relations soutenues : c’est-à-dire ceux
avec lesquels les échanges bidirectionnels sont soutenus et dont on
regarde le profil “au moins 2 fois en 30 jours” !
Si l’on en croit les résultats obtenus par Cameron Marlow et son
équipe, nos relations soutenues sont plutôt rares sur ce type de
plateforme. Pour un utilisateur moyen qui compte 150 “amis”, nous
établissons des relations soutenues seulement avec 5 personnes (7 si
vous êtes une femme). Si votre réseau relationnel est plus petit (50
personnes), le nombre de personnes avec lesquelles vous aurez des
relations soutenues sera plus faible (3 personnes pour les hommes, 4
pour les femmes). Si au contraire votre réseau relationnel est plus
grand (500 personnes), le nombre de personnes avec lesquelles vous
aurez des relations soutenues sera plus fort (10 pour les hommes, 16
pour les femmes). Nos relations soutenues seraient donc
proportionnelles à la taille de notre réseau de relation : diminuant
très très légèrement à mesure que celui-ci augmente (on passe de 0,06 %
de relations soutenues sur un réseau de 50 amis à 0,02 % sur un réseau
de 500 amis), à se demander,
comme l’exprimait Bernard Lunh sur le ReadWriteWeb,
s’il n’y a pas un effet inverse à l’échelle du réseau. Si mon réseau
social est composé de trop de gens, je ne peux pas porter assez
d’attention à chacun et les relations ont tendance à s’estomper.
Reste qu’en nombre relatif, l’étude vient contredire l’idée que les
“réseaux sociaux en ligne ne savent pas vraiment augmenter le nombre de nos relations sociales” que nous évoquions il y a quelque temps.
Visiblement, si l’on investit la plateforme (en temps, en compétences…
en attention), le nombre de nos relations soutenues peut y augmenter
sensiblement. Il y a là certainement un effet technique : en passant du
temps et en acquérant des compétences et des savoir-faire sur Facebook,
on parvient à développer nos réseaux relationnels réciproques,
unidirectionnels et soutenus, comme si on arrivait à inviter le coeur
de nos relations à s’y investir à mesure qu’on s’y investit soi-même.
Reste à savoir si les relations soutenues correspondent à des relations
fortes ou avec des proches, ou au contraire à des relations avec des
gens qui maîtrisent les techniques qui sous-tendent ces systèmes
sociotechniques.
L’étude de Marlow montre également qu’à mesure qu’on s’y investit, Facebook permet d’augmenter
“l’empan relationnel des individus”, nous explique le sociologue
Dominique Cardon. Il n’agit pas vraiment sur les liens les plus forts (famille, amant(e)s et confidents), mais sur tous les autres :
“ceux
avec qui on travaille, on fait du sport, ceux qu’on connaît bien, qu’on
connaît peu, qu’on aimerait connaitre mieux, ceux qui s’intéressent à
nous, ceux qu’on intéresse, ceux qui nous font rires, ceux qui
connaissent des trucs. Facebook montre qu’il y a une très grande
élasticité de ce nombre d’amis là. Comme on le voit dans l’enquête, le
sexe joue un rôle important, mais également l’âge, le niveau social et
culturel… Ce qui serait intéressant, c’est de décomposer les chiffres
auxquels accède Marlow par variable sociologique pour montrer que notre
nombre d’amis ne repose pas sur une limite naturelle, mais sur des
inégalités sociales et culturelles.”“S’il y a un effet performatif des réseaux sociaux, c’est peut-être que derrière cette prescription à exhiber et compter ses friends
, on produit et on accentue des inégalités”, conclut Dominique Cardon.
Via
The Economist,
danah boyd et
Thibaut Thomas.